Le vendredi 22 janvier dernier était organisée au lycée professionnel Simone Veil à Angers la journée départementale des professeurs-documentalistes du Maine et Loire.
.
1. Conférence de Noël Uguen
Noël Uguen est intervenu le matin sur la thématique suivante : « A la croisée des cultures informationnelle, médiatique et numérique, enseigner l’évaluation de l’information à partir des situations de collecte des élèves : outils, pratiques, savoirs ». Les supports de son intervention sont accessibles en ligne sur l’espace documentation du site de l’académie de Nantes.
Professeur documentaliste au lycée Le Likès de Quimper et formateur à l’université de Rennes 2, Noël Uguen se considère avant tout comme un praticien qui enrichit sa pratique des réflexions des différents chercheurs en SIC comme Yves Jeanneret ou de philosophes comme Bruno Latour. Ce dernier fait allusion au passage de l’ère du document à celui de « paysages de données ». Cette 1ère référence est importante car il faut dorénavant parler de circulation des objets documentaires. Le web a modifié le rapport au document. L’autorité personnelle de l’auteur ou le travail de l’éditeur sont des repères de l’imprimé qui ont été abolis. Dans ces paysages, les documents peuvent être fragmentés et une nouvelle logique d’indexation s’opère. Un article peut être accessible via différents infomédiaires (réseaux sociaux, agrégateurs de médias…). La lecture est active, dynamique, « ergative ». C’est à l’élève de savoir clôturer sa recherche, contextualiser et mettre en relation les documents consultés. Il peut interagir avec le document (faire circuler, recommander, segmenter) qui est devenu instable. Dans sa pratique, Noël Uguen a remarqué que les notions de document et d’indexation étaient loin d’être acquises par les élèves qui, par ailleurs, utilisaient des critères d’évaluation de surface. L’enquête de la FADBEN sur les savoirs info-documentaires des élèves, publiée en 2015, souligne également que ces opérations intellectuelles ne sont pas maîtrisées par les jeunes.
Ces nouvelles médiations induites par le web remettent en cause la pertinence des formations méthodologiques à la recherche documentaire. Selon Noël Uguen, la posture du professeur documentaliste doit changer. Au lieu d’outils « clés en main » il doit mettre en place des situations de recherche d’information qui amènent l’élève à produire des écrits de travail qui conserveront des traces de lecture et révéleront aussi des manières de faire lors d’échanges avec le professeur documentaliste. Noël Uguen travaille notamment sur le document de collecte. Mis en lumière par les travaux de Nicole Boubée et didactisé par Marion Carbillet, il s’agit d’une démarche spontanée de compilation d’extraits qui permet de réguler l’activité de recherche et de mémoriser ses traces. Cette pratique informelle, qui rejoint les caractéristiques de la lecture numérique, peut devenir un support d’échanges avec l’élève pour travailler des savoirs info-documentaires (source, pertinence, fiabilité, validité…). Un contrat de lecture permet de formaliser la démarche prescrite.
En mettant en lumière les pratiques informationnelles de l’élève, le professeur documentaliste peut l’accompagner vers l’appropriation des savoirs et des compétences nécessaires pour mettre en place une stratégie d’évaluation de l’information. Par exemple, à partir d’une recherche d’images, l’élève peut s’approprier de multiples connaissances au niveau de l’information-documentation (contexte, référence de l’image…), au niveau de la culture numérique (fonctionnement de Google image, indexation, attributs d’une image…), au niveau des médias (licences, droit…) et dans la réutilisation, la publication et l’éditorialisation de l’image. Il va donc se forger une culture « translittératique » qui englobe des savoirs sur les spécificités du document numérique, ses modes d’indexation, de circulation et d’accès à la toile. Il est essentiel de mettre en place un parcours de formation pour travailler progressivement sur ces notions.
L’action du professeur documentaliste ne se limite donc pas à fournir des recettes méthodologiques ou à prescrire de bonnes pratiques mais elle relève davantage d’un art du questionnement, de la maïeutique. Celui-ci met ainsi l’élève en situation d’enquête, de recherche d’indices.
2. Échanges avec l’inspection
Lors de cette journée, un temps d’échange était prévu pour évoquer l’actualité de la profession (la mise en place du décret du 20 août 2014 sur les obligations de service et la réforme du collège) et échanger avec les inspecteurs.
Les collègues présents ont été nombreux à faire part aux inspecteurs de leurs inquiétudes quant à la place donnée au professeur documentaliste dans les dispositifs d’Accompagnement Personnalisé, d’Enseignements Pratiques Interdisciplinaires et d’Education aux Médias et à l’Information mis en place par la réforme du collège.
Une première interrogation concernait les séances d’Information-documentation proposées en classe de 6ème et inscrites dans l’emploi du temps des élèves dans beaucoup de collèges. Peuvent-elles être maintenues alors que le nombre d’heures obligatoires pour les élèves passent à 26 heures semaine ? Les inspecteurs affirment que dans les faits elles ne le peuvent pas. Pour les professeurs documentalistes, la première conséquence de la réforme est la perte sèche des heures qui permettaient jusque là la formation initiale des élèves. Selon l’inspection, ce qui sera perdu en 6ème pourra être gagnée au cycle 4, via des collaborations avec les enseignants de disciplines en AP ou dans les EPI. Dans ce cas, bien évidemment, il ne sera question que d’accompagnements méthodologiques ponctuels.
S’agissant toujours de la 6ème, les IPR évoquent subrepticement l’idée de « dérogations » locales. Elles concerneraient les établissements scolaires ayant à articuler les emplois du temps des élèves aux contraintes des transports scolaires. Cela consisterait donc à boucher les trous des emplois du temps avec des heures prises en charge par le professeur documentaliste mais fléchées « étude »… Il faudra donc négocier ces heures au niveau local. Plusieurs collègues y ont vu une régression importante pour l’enseignement de l’information-documentation et notamment la visibilité de celui-ci.
La question de l’inspection dans le futur cadre a été posée. Les IPR ont répondu que le professeur documentaliste ne sera pas forcément inspecté sur une séance pédagogique puisque le professeur documentaliste intervient en appui des disciplines. « Les IPR sauront s’adapter au nouveau cadre de la réforme » a-t-on entendu.
Les professeurs documentalistes présents ont également questionné les inspecteurs au sujet de l’application du décret sur les obligations de service dans ce nouveau collège : les heures effectuées dans le cadre de l’EPI seront-elles prises en compte ? La réponse est simple : l’information-documentation n’étant pas considérée comme une discipline, nous ne pouvons pas être porteurs d’un projet EPI et devrons donc nous contenter d’être, au mieux, la « troisième roue du carrosse ». Si nous y participons, ces heures ne seront pas comptées comme des heures enseignement. Le décret ne s’applique pas.
Les collègues ont, pour finir, fait part aux inspecteurs de leur difficulté à mettre en place une progression et un enseignement égalitaire pour tous les élèves. Nous sommes en effet toujours condamnés à négocier des heures avec nos collègues de discipline souvent soucieux de finir leur programme d’enseignement. Or, nous sommes détenteurs d’un CAPES, comme nos collègues de discipline. Nous avons des savoirs et des compétences à faire acquérir aux élèves comme les autres professeurs. Et même si l’institution rappelle que nous avons un rôle indispensable à jouer dans cette réforme, que nous sommes bien les maîtres d’œuvre de l’EMI, notre rôle pédagogique relèvera malgré tout, encore et toujours, de négociations locales soumises au bon vouloir et à l’interprétation.